(Photo Tobias Tullius)

Les choses, dans la vie, évoluent en parallèle sur des temps parfois très courts ou des temps très longs. Et si certaines technologies (notamment l’IA, en ce moment) évoluent extrêmement rapidement, certaines autres choses changent lentement. Voire pas du tout. Dans la nature, les lisières de forêts, chemins d’exploitation forestière ou autres éléments peuvent ainsi changer rapidement dans le temps. Et le relief (comme tout ce qui est dépendant de lui comme les cours d’eaux et certains axes routiers ou ferroviaires) bouge très, très lentement. A l’échelle d’une vie humaine, une forêt peut pousser ou être déboisée mais une montagne ne changera pas significativement de forme.

Pour ce qui est des techniques de vie dans la nature et de survie, c’est un peu la même chose. On voit régulièrement arriver sur le marché des technologies nouvelles, des gadgets en tous genres. Et les forces de vente qui sont derrière ont tôt fait de nous persuader que ce sont des outils qui peuvent réellement changer la donne. Et bien souvent, ça n’est pas le cas. Le gore-tex, apparu dans les années 1980 et démocratisé pendant les années 90 a été un de ces trucs : c’est bien en théorie, mais pour être vraiment bien ça dépend surtout d’un traitement de surface déperlant pour rester sec. Et ce traitement de surface est fragile et perd vite ses propriétés déperlantes pour peu qu’on utilise réellement sa veste en gore-tex : la saleté, l’abrasion, la fumée auront tôt fait de détériorer ce genre de traitement, même ceux qui sont annoncés « durables ».

Globalement, en termes d’innovation, nous prenons en général des idées anciennes, et on essaie de les améliorer ou de les rendre plus optimales pour un usage donné. Ainsi, après la découverte puis la maîtrise des silex taillés, nous avions déjà des outils coupants qui faisaient beaucoup mieux le boulot que nos ongles ou que nos dents. Les métaux sont arrivés très très longtemps après. Puis, depuis l’acier, nous ne faisons pratiquement que d’affiner de plus en plus les techniques de prodution et de traitement thermique pour permettre une géométrie de lame plus fine et plus tranchante tout en gardant une solidité suffisante. Et non, il n’y a pas eu de saut technique réel en termes d’outils coupants depuis le silex (qui se déclinait déjà au paléolithique en scies, poinçons, pointes de flèche et de lance, couteaux, haches, etc, etc. Avant, nous n’avons rien pour couper. Avec un silex nous avions subitement la possibilité de couper des trucs. Et depuis nous améliorons nos outils pour couper des trucs. C’est tout.

En fait, un saut technique se caractérise par la création d’un outil qui aura une fonction totalement nouvelle et inédite (pour un outil). En général ce genre de saut technique cherche simplement à imiter une chose que nous observons dans la nature :

  • la morsure ou la griffure devient l’outil en silex, puis le couteau en bronze, puis en fer, puis en acier, puis en acier industriel normé avec une table de traitement thermique précise.
  • Le bâton ou le caillou qu’on lance devient un projectile pointu. Et puis on combine le couteau et le bâton pointu pour fabriquer une lance, des flèches, des propulseurs, des arcs, des arbalètes…
  • L’invention des explosifs (nouveau saut technique, là, pour le coup, qui est une utilisation toute nouvelle du feu) s’y rajoute, et nous obtenons les bombes, canons, puis canons portatifs de petit format : les premiers fusils. La cartouche moderne, au final, n’est que la même idée poussée plus loin. Et la carabine de très haute précision qu’on peut acheter aujourd’hui, avec une lunette grossissante (la lentille, nouveau saut technique) remplit au final la même fonction que le caillou qu’on jetait à la tête d’un ennemi il y a un million et demi d’années : blesser ou tuer quelqu’un (ou un animal) sans devoir se déplacer jusqu’à lui.

Finalement, en 2023 nous faisons globalement la même chose qu’à l’âge de pierre. Nous le faisons simplement mieux, en se fatiguant et en se salissant moins, et en élaborant des stratégies pour le faire faire par les autres.

Pourquoi est-ce que je vous parle de tout ça ?

Parce que les principes sous-jacents d’utilisation de toutes ces technologies, peu importe leur degré d’évolution, sont globalement très très similaires. On utilisera un percuteur en silex et sa marcassite à peu près avec le même genre de cahier des charges que le firesteel, par exemple. Et que le mini firesteel qu’on trouve dans un briquet à molette classique, même s’il n’a plus de gaz, peut être utilisé de la même manière. Une fois qu’on comprend le principe sous jacent et les contraites qui vont avec, on devient libre. On peut innover. On peut inventer des solutions aux problèmes.

La lecture des « vieux livres », ainsi, peuvent nous apprendre beaucoup de choses sur les principes fondamentaux qui évoluent peu dans le temps. Qui restent valables dans la durée, pour peu qu’on puisse les comprendre et les utiliser pour ce qu’ils sont : des principes sous-jacents. Et pour peu qu’on s’en serve pour résoudre les problèmes actuels.

Lisez vos classiques ! 😉